Transcription et traduction de l'extrait dactylographié entier.
Jour J : Bernières-sur-Mer (plage Juno)
Un débarquement solitaire, l’atteinte d’un objectif
6 juin 1944, de 3 h 15 à 24 h (minuit)
[…]
Nous étions montés à bord des bâtiments d’assaut de débarquement un peu avant cinq heures du matin. […] Nous nous étions exercés à ce que les hommes descendent le long des filets pour sauter sur les bateaux d’assaut, mais toujours par temps calme. Or,
ce matin-là, les vagues étaient hautes et le bateau d’assaut tanguait… comme un bouchon de liège. […]
Chaque homme portait de lourdes bottes et une charge [minimale] de cinquante livres […]. La moindre erreur, et il pouvait tomber comme une pierre entre la coque du navire et la barge. Pire encore, même si un homme parvenait à se délester dans l’eau du
poids supplémentaire, il pourrait être écrasé si la barge venait à percuter la coque.
Nous y sommes arrivés, mais il en a fallu du temps. […] Comme je dirigeais les opérations de ma barge, j’étais le dernier à y prendre place. J’ai descendu le filet aussi vite que possible. La barge avait déjà largué les amarres. Quand est venu le moment
de sauter, j’ai bien failli y laisser ma peau. Buck Hawkins et Jamie McKenzie m’ont attrapé juste à temps.
J’étais le chef de notre bateau, mais la barge était en fait commandée par deux hommes de la Marine royale […]. Assis en deux rangées, nous nous faisions face. J’étais en première place. Juste en face de moi se trouvait Jack Simpson, un sergent et un
ami très proche. […]
Dix bateaux d’assaut ont été chargés à peu près de la même façon […]. Sur mon bateau se trouvaient la plupart des hommes de mon ancienne section d’origine du peloton 9. Nous nous sommes tous enrôlés en 1940; nous nous sommes entraînés ensemble; nous avons
vécu ensemble et ces quatre dernières années, nous avons passé chaque journée ensemble.
[...] Le rivage se trouvait à environ cinq milles; à mesure que nous nous en approchions, nous pouvions voir les roquettes et les canons navals dans le ciel nocturne. Nous pensions que la plupart de ces bombardements viendraient affaiblir notre tête de
plage, mais lorsque nous y sommes arrivés, nous n’avons trouvé aucun signe de bombardement. Nos canons de marine avaient, en fait, dépassé les plages. […]
[À environ un mille du rivage,] nous avons eu un choc en constatant que la flotte d’assaut qui était juste derrière nous avait complètement disparu. Soudainement, il n’y avait plus que nous et l’immensité effrayante de l’océan [...] Les représentations
ultérieures du jour J… montrent généralement des renforts aériens, la Manche bondée de destroyers et de cuirassés, le rivage rempli de bateaux d’assaut… Cela ne s’est pas passé ainsi pour nous. Il ne restait en vue que notre propre flotte de dix péniches
d’assaut […]
La lumière du jour. Nous ne nous sommes jamais sentis aussi seuls de toute notre vie.
Il pleuvait et il y avait de la brume. Bernières-sur-Mer est apparue à l’horizon. Quinze cents verges de plage s’étirant de l’extrême gauche à l’extrême droite (près d’un kilomètre et demi). Un silence de mort planait […] Mais nous avions bon espoir.
Nous avions une tâche à accomplir; chacun semblait en être bien conscient. Allons-y.
Dix péniches étalées sur quinze cents verges de côte ne constituent pas une très forte force d’attaque. Les péniches diminuaient de taille au fur et à mesure que l’écart se creusait, l’espace atteignant la longueur d’un terrain de football. Notre projet
initial d’une attaque courageuse ne semblait plus aussi assuré, même si aucun d’entre nous ne l’a admis. On pouvait voir les maisons et les bâtiments du village. Entre le rivage et le village se trouvaient les obstacles de plage et les barbelés auxquels
étaient attachées des mines. Au centre, il y avait un redoutable mur de quinze pieds de haut et trois grandes casemates blindées. Toute la plage était ouverte au feu meurtrier des mitrailleuses positionnées pour la balayer avec un angle de tir de 180
degrés.
[…]
Notre première confrontation avec le feu ennemi a commencé lorsqu’un artilleur nerveux a ouvert le feu prématurément dans l’une des casemates; un éclat de métal a coupé la joue du carabinier Cy Harden. Un type de la marine a pansé la plaie et lui a dit
: « Si tu t’en tires seulement avec ça, tu en as de la veine. » Il a été chanceux. […]
Le moteur ronronnait régulièrement et ne semblait pas troubler le silence. […] « Amenez-nous aussi vite que possible », ai-je commandé. « Ne ralentissez pas, continuez! » Il était préférable de se déplacer directement et à grande vitesse que prendre le
risque de dériver comme des cibles faciles ou de buter contre des obstacles ou des mines. […]
Tout le monde semblait calme et prêt. […] Soudain l’ordre a retenti : « Descendez la rampe!» Dès que la rampe a été abaissée, nous avons essuyé de lourds tirs de mitrailleuses venant de quelque part derrière la digue. Des tirs de mortier arrosaient la
plage. […]
Les hommes se sont levés, alors que le navire allait à tribord, le port vers la gauche. J’ai dit à Jack, en face de moi, et à tous les autres : « Foncez! Vite! Ne vous arrêtez sous aucun prétexte! Allez! Allez! Allez! » Jack et moi avons dévalé la rampe
à toute allure, côte à côte, suivis de près par les hommes. Nous avons couru aussi vite que nous le pouvions avec, comme objectif, cette digue en face de nous.
Aucun d’entre nous n’a vraiment saisi à ce moment-là, alors que nous étions dispersés sur un large front de mer, à quel point nos chances sur le terrain semblaient minces. Chacune des dix embarcations était devenue une unité de combat indépendante. Aucune
ne pouvait communiquer avec les autres… nous étions seuls à mener notre première action. Chacun d’entre nous, d’Elliot Dalton, notre commandant…, en passant par les autres responsables des bateaux de la compagnie A — Jack Pond, Peter Rea et Dave Owen
— jusqu’au simple soldat, était dans une course à vitesse maximale. Nous étions tous des carabiniers prêts à l’assaut et cela n’avait rien d’ordinaire pour aucun d’entre nous.
[…] Cette première ruée sous le déluge de feu des Allemands — la traversée de la plage à la course, l’escalade du mur, le franchissement de la voie ferrée, parallèle à la plage — a coûté la vie à un grand nombre d’hommes dès les deux premières minutes.
Les commandants de section et de peloton, point de mire des soldats ennemis, sont rapidement devenus leurs victimes. […] C’était la marée basse et nous avions une grande étendue à couvrir. […] Parmi les hommes de notre bateau, Jack Simpson a été tué sur
la plage et Jack Culbertson a été blessé. Jamie McKechnie, qui, quelques heures auparavant, m’avait agrippé pour m’aider à monter dans la barge, me sauvant la vie assurément, a été tué; Ernie Cunningham et Sammy Hall ont connu le même sort.
[…]
Alors que nous traversions la plage en courant, nous n’avions pas vraiment le temps de réfléchir. Notre entraînement y suppléait. Nous étions capables de courir 60 milles avec une charge de vingt-cinq livres; nous étions d’excellents
tireurs, environ 30 % d’entre nous étaient dans la catégorie des tireurs d’élite, et nous avions tous appris à ne pas nous arrêter pour un rien.
Notre section de la plage était dégagée, mais il y avait des mines enfouies dans le sable. Dans une course folle comme celle-là, vous choisissez le chemin qui vous semble le meilleur. Bert Shepherd, Bill Bettridge et moi courions
à toute vitesse tout en dégainant nos armes. À notre gauche, nous avions repéré une petite ouverture dans le mur. […] {Les Allemands} y avaient placé une mitrailleuse à bande [et un homme pour l’opérer], il agitait les bras furieusement, comme s’il
appelait les autres à venir l’aider. Il fallait être deux pour l’activer […] [Bill] a braqué son arme sur le mitrailleur et l’a visé si juste qu’il l’a atteint d’une balle […] Nous sommes arrivés jusqu’au mur et l’avons enjambé, puis nous avons traversé
la voie ferrée en courant. […]
De part et d’autre, il y avait des champs de mines. Les tirs de mitrailleuses et de mortiers étaient incessants, c’était un barrage de bombardements qui semblaient venir de partout. Une fois passé le chemin de fer, nous pouvions
nous cacher dans l’herbe, mais nous sommes tombés sur de lourds barbelés. Shep et Bill semblaient quelque peu surpris que nous soyons arrivés aussi loin. […]
J’ai coupé les fils [de fer bloquant notre chemin] et les ai recourbés, laissant une ouverture juste assez large pour qu’un homme puisse y passer en rampant. L’herbe nous a permis de nous dissimuler. L’ennemi savait que nous étions
là quelque part et probablement en mouvement, mais il ne pouvait pas nous repérer. Nous avons traversé en rampant. À ce moment-là, nous étions une quinzaine.
Puis, nous sommes arrivés à un champ de mines. […] J’ai avancé d’une dizaine de pas et j’ai marché sur une mine. Quand une mine explose en l’air, elle expulse de vieux clous et une décharge de chevrotine — ou peu importe ce que ses
fabricants y ont mis — sur une grande surface, peut-être 150 ou 200 pieds. Mais si vous gardez votre pied dessus, elle ne détonera pas. Aussi, j’ai maintenu le pied en place et demandé à tout le monde de se tenir loin, de l’autre côté de la clôture
et dans les jardins près des maisons. Pour éviter l’effet de souffle, vous vous laissez tomber rapidement au sol tout juste à côté de la mine.
Peut-être suis-je resté une seconde ou deux trop longtemps le pied sur la mine, penché devant, prêt à m’affaler par terre lorsqu’une balle a pénétré à l’intérieur de mon casque. Elle a fait un ricochet à l’intérieur et m’a fait perdre le casque. J’ai
relâché la mine. Elle a détoné, explosant à environ cinq pieds dans les airs, mais je m’étais déjà aplati sur le sol. Quelques secondes plus tard, j’ai bondi et quitté la scène, traversant le reste du champ de mines à vitesse grand V, non sans un certain
soulagement bien que sans casque.
[…] Il était environ neuf heures moins le quart — moins d’une demi-heure après avoir rejoint la plage — quand [nous] avons atteint notre objectif, soit la route traversant le village à son point sud-ouest. […] Nous avions réussi; nous avions fait ce
que nous étions censés faire. Tout le monde semblait à la fois surpris et incrédule. Et maintenant?