Transcription et traduction de l'extrait entier.
À 5 h, les hommes de la flottille étaient debout et en tenue. Nous avions dormi habillés toute la nuit. Le petit déjeuner, pris à 5 h 15, se composait de bacon, de fèves au lard et de pommes de terre. À 5 h 45, l’équipage était près de sa péniche de débarquement,
le NCMS Prince David. La passerelle abaissée, les soldats ont embarqué dans la péniche.
En attendant l’ordre d’aller de l’avant, chacun pouvait voir les éclairs des bombes et des tirs de canons sur les côtes de France, à 7,5 miles de distance. Il faisait jour et, aussi loin que l’œil portait, il n'y avait que des péniches de débarquement,
attendant simplement l’ordre d’y aller… Au-dessus de nous, le ciel était constellé d’avions alliés en route pour bombarder la côte.
À 6 h 45, nous avons reçu l’ordre de mettre à la mer et de décrocher. La mer était extrêmement violente et, tandis que nous commencions notre parcours de 7,5 miles, les soldats étaient très malades. Toutes les flottilles de notre contingent étaient sur
la ligne avant et à mesure que chaque mile passait, nous entendions le grondement de l’artillerie sur la côte, le bombardement par les avions alliés, et de plus en plus souvent, l’un d’entre eux était abattu. C’était une scène inoubliable, de voir les
soldats alliés se rapprocher de la côte française.
Enfin, la côte de Bernières-sur-Mer, notre objectif, pointait à l’horizon et on ne voyait que fusillades et incendies et au milieu de tout cela quelques clochers d’églises encore debout. À environ un mile de la plage, ce fut le signal de déploiement et
les flottilles se sont élancées. On nous avait parlé des champs de mines protégeant les plages et, tandis que nous nous déplacions à mi-vitesse, nous pouvions voir les mines éparpillées, à une distance de 500 verges, toutes très proches, de sorte qu’il
semblait impossible à un bâtiment d’assaut de débarquement de passer au travers. En regardant par-dessus la proue, en voyant les cadavres des commandos de la Marine flottant dans la mer, j’ai réalisé ce que nous devions affronter. Les Marines étaient
censés avoir dégagé la voie et, puisqu’ils étaient morts, nous devions nous frayer nous-mêmes un chemin à travers ces dangereuses « balises dans l’eau ». Et bientôt, nous nous faufilions entre les mines et la force de la marée poussait la poupe à quelques
pouces de chaque mine, de sorte que je craignais à tout moment d’être réduit en miettes. Pour aggraver les choses, les obus de mortier hurlaient au-dessus de l’embarcation et, en plus, des tireurs nazis isolés essayaient de trouver une bonne cible.
Tandis que nous avions réussi à traverser trois rangs de mines, prêts à franchir le quatrième, nous avons vu l’embarcation située à tribord se rompre littéralement en deux au contact d’une mine. Ensuite, tandis que je regardais autour de moi, je pouvais
voir toutes les péniches de la flottille, à peine à quelques pieds de distance, se rompre en deux, la proue crevée, la poupe trouée et coulant rapidement, mais fort heureusement les soldats marchaient déjà vers la plage, dans l’eau jusqu’à la ceinture.
Je trouvais à peine croyable le fait que nous flottions encore et que nous progressions vers la rive. Un autre coup d’œil aux alentours le long de la plage permettait de voir les embarcations d’invasion éclater en morceaux et les corps des équipages
propulsés dans les airs. Malgré ces incidents malheureux, l’armée prenait pied sur la rive. Notre péniche continuait de progresser et, lorsque nous n’avons pu aller plus avant, la rampe a été descendue et les soldats se sont élancés vers la rive. Nous
avions franchi sans encombre le champ de mines, seule embarcation de notre secteur à atteindre le rivage en sécurité.
Nous nous échouions, alors que la poupe se balançait encore entre deux mines et, sachant que notre embarcation aurait encore à ramener au navire tous les membres de la flottille, il fallait la sauver. Par conséquent, nous avons fixé un cordage à la poupe
et l’avons empêchée de se balancer en nous mettant à l’eau jusqu’à la taille, tandis que les balles des tireurs sifflaient de partout. À ce moment, les équipages de la flottille, dont les péniches avaient été détruites, arrivaient sur la berge et c’était
avec un grand soulagement que nous avons constaté que tous étaient sains et saufs, à part un soldat atteint à la jambe par un éclat d’obus et un autre qui a eu l’oreille égratignée par une balle.
Notre flottille était maintenant échouée sur la plage de Bernières-sur-Mer, en France. Nous avions pu faire débarquer nos troupes, mais quatre de nos embarcations avaient été détruites. Il fallait trouver un moyen de retourner, de traverser le champ de
mines et de ramener les membres d’équipage au navire. Il fallait y réussir avec la seule embarcation qui nous restait, qui n’avait plus qu’un seul moteur. J’étais assis sur la plage, grillant une cigarette et me reposant un peu et, jetant un coup d’œil
à la ronde, j’ai vu ce qui ne se produit qu’une fois dans une vie. Les soldats que nous avions débarqués construisaient leurs retranchements et se préparaient pour leur avancée dans les terres. Aussi loin que le regard portait, le long de la plage, d’énormes
blindés étaient rangés côte à côte, prêts à foncer. Les barges de débarquement de chars d’assaut arrivaient en un flot continu là où nous avions déminé le passage et des centaines de chenillettes Bren et de chars d’assaut s’élançaient sur la plage.
Nous savions que nous devions quitter la plage, car l’attaque était sur le point de commencer, de sorte que nous avons décidé de rassembler tous les membres de la flottille dans la seule embarcation qui restait, qui n’avait plus qu’un moteur et qui devait
faire franchir d’autres champs de mines. En poussant l’embarcation aussi loin que possible, marchant dans l’eau jusqu’au cou, la marée montait très rapidement et nous avons eu bien de la difficulté à nous frayer une voie de sortie. L’avance des soldats
sur la plage avait maintenant commencé, car la marée couvrait rapidement la grève. Malgré les tirs incessants du tireur isolé encore caché dans le clocher de l’église, nous nous sommes rassemblés tant bien que mal dans la seule embarcation, mais un autre
obstacle est survenu, car les barges de débarquement de chars d’assaut arrivaient tous moteurs hurlant sur la plage et nous étions directement sur leur route.
Avec une chance invraisemblable, nous avons pu éviter d’être écrasés, mais, tandis que nous virions à tribord et que nous nous pensions déjà sortis d’affaires, nous sommes tombés sur un épieu en acier, une autre mesure défensive mise en place par l’ennemi,
qui a percé un énorme trou dans le fond de notre embarcation et, après avoir essayé vainement de stopper l’eau qui s’engouffrait, nous avons dû abandonner notre péniche, en ayant tout juste le temps de prendre nos armes et quelques rations. Fort heureusement,
nous étions au bord d’une barge de débarquement de chars d’assaut et nous avons pu y embarquer sains et saufs. Nous étions à peine à bord que la barge a heurté une mine et commencé à couler lentement mais sûrement. Encore une fois, nous avons eu de la
chance, car en abandonnant la barge qui coulait, nous avons pu nous rendre à une autre barge de débarquement de chars d’assaut. Embarqués en sécurité et en regardant du pont, nous pouvions voir les embarcations coulées de notre flottille, leurs flancs
troués, immergés jusqu’au plat-bord, mais les feuilles d’érable visibles encore au-dessus de la ligne d’eau. Un autre regard sur la plage, désormais inondée, nous a permis de voir que notre armée progressait rapidement, traversant la ville de Bernières-sur-Mer.
Dans le ciel, nos avions maintenaient encore leur couverture de soutien.
La barge dans laquelle nous étions a enfin pu quitter la plage. Nous devions quand même traverser une zone dangereuse, soit le champ de mines, mais nous y sommes parvenus et pour la première fois depuis environ cinq heures, nous avions la possibilité
de nous détendre. Jamais auparavant je n’avais vu autant de tension sur le visage des hommes. Mes meilleurs camarades étaient prêts à arracher la tête de quiconque passait une remarque. J’étais dans le même état. Toutefois, après une cigarette et une
lampée de rhum, nous nous étions totalement calmés, redevenus plus civilisés. Nous avions perdu nos cinq embarcations et tout notre équipement. Nous avons pu sauver au dernier moment deux mitraillettes Lewis et quelques boîtes de rations.
Nous étions en route pour retourner en Angleterre, les équipages d’une flottille de bâtiments qui avaient été coulés sur leurs pieds, mais nous avions fait notre travail, amener les soldats sur la plage en France.
Nous pouvions encore voir la côte et j’y ai jeté à nouveau un regard pour bien me souvenir de ce que c’était cinq heures après l’heure H du jour J. Sur la côte, la ville de Bernières-sur-Mer était en flammes et partout dans la ville, nos soldats progressaient.
Sur la plage, les chars d’assaut filaient en un flux continu. On pouvait voir les tireurs encore embusqués dans les clochers d’église, mais ils ont été encerclés un par un et emmenés au quartier général de la plage. Au-delà de la ville, où s’étendaient
des champs moutonneux, parsemés de casemates, les obus tirés par la marine frappaient avec précision. La mer elle-même était encombrée de centaines de navires alliés, tous tirant leurs salves, dans un vacarme assourdissant. Les bâtiments d’assaut arrivaient
et repartaient en un flux continu. Dans le ciel, les avions alliés vrombissaient, mais ne rencontraient aucune opposition. Les destructions causées par leurs bombes pouvaient se voir sur la côte.
Une heure plus tard, nous avons appris que notre navire n’était pas retourné en Angleterre, mais se trouvait à proximité. Quelle bonne nouvelle! Nous étions gelés, sales et épuisés au plus haut point. Tout ce que je voulais, c’était un hamac, un bon repas
et une douche.
À 14 h, notre navire était en vue et nous nous sommes amarrés bord à bord. Les gens du navire nous ont fait un accueil chaleureux. J’ai pu prendre une douche, me changer, manger et dormir. À 17 h 30, je me suis réveillé, à peine capable de croire que
j’étais en un seul morceau. La vue de nos camarades morts dans des explosions et des centaines d’autres scènes restaient gravées dans mon esprit. Nous étions maintenant sur le chemin du retour en Angleterre, accompagnés de nombreuses victimes récupérées
sur la plage. Plusieurs étaient mourants. Un membre des commandos de marine qui, la nuit dernière, me parlait de son épouse et de son enfant gisait sur le pont, sous des couvertures trempées de sang.
Nous sommes arrivés à Southampton vers 23 h et avons emporté les blessés et les morts sur la rive. À 5 h, nous sommes repartis pour jeter l’ancre à Cowes sur l’île de Wight.