Transcription de la narration (en français) de Marcel Auger.
[DÉBUT: 00:00]
Je devais m’enrôler parce que c’était la conscription. J’ai arrêté mes études alors que je commençais ma 9e année. J’ai eu 18 ans en mai (19)42. Avant que l’armée ne m’appelle, je ne voulais pas aller dans l’armée, je voulais aller dans l’aviation.
À l’insu de ma mère, j’ai été m’enrôler dans l’aviation sur la rue Buade à Québec, près de la basilique. J’ai dit à ma mère que je devais me rapporter au camp de Lachine (Québec) seulement deux jours avant mon départ. Ç’a été un peu dur pour elle et
moi aussi. Je savais que je voulais absolument m’enrôler dans l’aviation plutôt que d’aller dans l’armée. Finalement, j’ai eu autant de misère dans l’aviation parce que j’étais « l’équipe au sol ». L’armée était même des fois en arrière de nous. Je me
suis enrôlé le 2 novembre (19)42. J’ai commencé mon cours de mitrailleur à Fingal en Ontario (École no 4 de mitrailleur et de bombardement). D’abord, je voulais m’enrôler comme pilote, mais je n’avais pas l’instruction pour être pilote. On
n’était pas beaucoup de Canadiens français dans notre escadrille. On était peut-être 1 200 hommes dans ces trois escadrilles. On était peut-être une vingtaine de Canadiens français, pas plus. Alors forcément moi, qui n’étais pas anglais, je l’ai appris
l’anglais comme on dit « the hard way ».
[TEMPS : 01:24]
Lors du débarquement de Normandie qui a eu lieu le 6 juin 1944, je pourrais vous dire que quelques jours avant le 6 juin, on a remarqué que nos avions volaient beaucoup. On travaillait quasiment 12-18 heures par jour. On ne savait pas pourquoi. On a su
que le débarquement avait eu lieu le matin du 6 juin. Lorsqu’on a commencé à travailler le matin, on a appris que les gars étaient débarqués depuis six heures le matin en Normandie. Nous avons traversé le 8 (juin) avec le « advance party » (groupe de
tête); les premiers en avant. Avant de partir, Eisenhower (Dwight D. Eisenhower, le commandant en chef des forces alliées en Europe), qui était celui responsable du débarquement, nous a lancé un message dont j’ai l’enregistrement chez moi. Je l’ai même
dans mes valises ici. Il nous souhaitait bonne chance, il nous a fait pleurer.
[TEMPS : 02:19]
On est embarqué dans la barge (de débarquement). Nous étions soixante hommes dans la barge. Nous avions quatre camions. J’étais dans le premier camion à débarquer. La traversée (de la Manche) a été assez facile. Aucun sous-marin ne nous a attaqués; on
était trop proche de l’Angleterre et de la France. Les sous-marins ne s’aventuraient pas si proche que ça. Rendu en Normandie, il faisait beau soleil. On a commencé à entendre les canons avant même d’arriver. On s’est échoué sur la grève. On ne pouvait
pas débarquer avec la marée basse. C’était du (gravier) mou et nos camions se seraient enlisés un peu comme c’est arrivé en 1942 à Dieppe (lors du raid du 19 août mené par les forces anglo-canadiennes). Leurs camions se sont enlisés. Nous sommes arrivés
vers 18 h 30 ou 18 h 45, il a fallu attendre la marée haute jusqu’à 22 h 30 à peu près. Durant ce temps-là, il y avait deux croiseurs derrière nous qui lançaient des obus sur les lignes allemandes et les Allemands répliquaient. Malheureusement un obus
a frappé une de nos barges et a anéanti d’un seul coup les camions et les soixante hommes qui s’y trouvaient. Tout perdu. On a vu ça de nos propres yeux. La marée a été assez haute pour débarquer vers 22 h 45. Quand on a commencé à débarquer, on voyait
les hommes morts qui flottaient dans l’eau autour de nous. Ça n’a pas été une sinécure. Il faisait beau et chaud, mais ça bombardait et les obus tombaient de tout bord tout côté.
[TEMPS : 03:54]
Sur le continent on suivait le front. On a fait toute la campagne de France. La pire place ç’a été à Caen. Une bataille dont vous avez sûrement entendu parler. J’ai traversé Caen avec mon camion, par-dessus les ruines de la ville. On a fait toute la campagne;
Caen, Villers-Bocage, (Falaise), Beauvais, on a tout traversé. On a traversé en Belgique à Douai (France) au début de septembre 1944, je pense. En Belgique, la même chose, nous avons fait trois ou quatre places. Lors de la libération de la ville de Bruxelles,
comme j’étais au volant de mon camion avec le volant à droite, en Belgique on conduit à droite, naturellement j’étais près du trottoir. Une dame est montée sur mon camion et m’a demandé si j’étais de Montréal. Je lui ai dit que je venais de Québec. Elle
m’a dit que son mari était Canadien et qu’elle était de Montréal. Elle était Belge, mais elle avait marié un Canadien en 14-18 (pendant la Première Guerre mondiale de 1914-1918). Madame Raymond Massard, elle m’a donné son numéro de téléphone et j’en
ai fait ma marraine de guerre.
[TEMPS : 05:04]
La Hollande a été la pire (place) que nous avons faite. C’était l’hiver, il faisait très froid, la neige. Les gens étaient pauvres. Les enfants fouillaient dans nos vidanges et ils mangeaient ce qu’il y avait de bon. Ce qu’ils croyaient être bon. Le pain
trempé dans le thé, imaginez-vous. Du mouton, avec du gras après. On mangeait beaucoup de mouton. Ils mangeaient ça eux autres. En sabots de bois, les enfants comme les adultes. Ç’a été dur en Hollande, très très dur. Il faisait froid, froid comme ici
en hiver. C’était la fin de la guerre. On pensait qu’on allait revenir le plus rapidement possible... c’était en mai 1945. J’ai fait l’occupation jusqu’en janvier 1946; six mois en Allemagne.
[TEMPS : 06:00]
Je n’aurais pas conseillé à mes enfants de s’enrôler pour faire la guerre. J’ai vu des atrocités, surtout au camp de Belsen-Bergen (camp de concentration de Bergen-Belsen) pas loin de Hanover (Hanovre, Allemagne). Alors que j’étais en convalescence, j’étais
chauffeur d’officier commandant. Nous avons couché un soir au camp de concentration de Belsen-Bergen (Bergen-Belsen). J’ai des photos avec moi dans ma valise. Une fosse dans laquelle il y apparaît cinq à six mille cadavres. Ces cadavres, ils les prenaient
dans des baraques où il y avait des compartiments de trois étages. Il y en avait qui étaient morts. D’autres étaient blessés et d’autres étaient mourants. Ils prenaient tous ces pauvres gens et les mettaient dans les fosses. Dans un des trous on voit
une femme dont j’ai la photo. Une belle chevelure noire, elle avait un trou dans la cuisse. Une des gardiennes m’a raconté comment elle avait eu ce trou dans la cuisse. Cette femme avait eu un enfant au camp. Elle l’allaitait et un matin un soldat SS
(de la Schutzstaffel, une organisation paramilitaire sous le parti nazi) a écartelé son enfant devant elle. Elle a fait une crise. Elle s’est mise à courir pour se sauver, mais elle ne pouvait pas passer à travers du fil barbelé. Ils lui ont tiré une
balle et puis on voit son corps dans le trou. Ce n’est pas un bon souvenir. Un autre monsieur que j’ai vu. Je ne sais pas quel âge il avait, mais il avait l’air d’un homme âgé. Il était assis sur une pierre et mâchouillait sa couverture de laine. Il
mâchouillait ça et me regardait comme une bête fauve prête à sauter sur sa proie. C’est une image que je n’oublierai jamais. Jamais, jamais, jamais.
[FIN : 07:59]