Transcription et traduction de la narration entière d'Ernest Bagstad.
[DÉBUT : 00:00]
Ernest Bagstad : Bon, mon premier combat important ça a été à Ortona. C’est une petite ville sur la côte de l'Adriatique en Italie. Nous avons passé sept jours et demi à nous battre là-bas, pour prendre cette petite ville, et de temps en temps,
c’était à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Et c’était là-bas qu’on a eu notre très célèbre repas de Noël : le repas de Noël des Seaforth Highlanders (du Canada). Et ça, je trouve ça incroyable, complètement incroyable, que les cuisiniers soient
arrivés à préparer un repas comme ça à quelques pâtés de maisons de là où la guerre se déroulait.
[TEMPS : 00:38]
E.B. : Un gars du nom de Matthiew Halton (correspondant de guerre canadien) faisait une émission de radio sur les ondes courtes en direction du Canada pendant qu’on avait notre repas de Noël. On avait un joueur de cornemuse qui jouait la marche
de défilé du régiment (l’hymne du régiment); et mon beau-père, il a entendu la marche et il s’est tourné vers ma mère et il a dit, Ernie est en train de dîner. Est-ce que vous imaginez ? Il avait un sixième sens, je suppose. Il a fait partie des Imperial
Seaforth Highlanders pendant la Première Guerre mondiale et ça, bien sûr, c’est la raison pour laquelle je me suis engagé dans les Seaforth Highlanders pendant la Seconde Guerre mondiale. Il donnait l’impression de toujours savoir où je me trouvais et
ce que je faisais, pratiquement tout le temps.
[TEMPS : 01:33]
E.B. : Dans la vallée du Liri, sur la ligne Hitler [la ligne de défense allemande dans le centre de l’Italie], le régiment des Seaforth Highlanders était en fait le seul qui a réussi à atteindre sa destination ce jour-là. On est allés juste un
tout petit peu trop loin, une demi-douzaine d’entre nous à peu près. Au cours de cette journée, on a perdu tous nos chars; et on a perdu tout notre appui d’artillerie, et les communications avec le régiment étaient mortes. Nos opérateurs radio étaient
soit seuls ou blessés, ou tués, ce genre de choses.
[TEMPS : 02:21]
E.B. : Et, bien évidemment, les postes radio à cette époque c’était vraiment du costaud. Un seul gars n’était pas suffisant, vous savez. Il fallait un gars pour porter le poste, mais il fallait quelqu’un d’autre pour porter les batteries
parce que rien que l’ensemble des batteries ça pesait dans les 35 kilos, et le poste radio était plutôt lourd et volumineux. Alors il fallait deux hommes ensemble en permanence et ce n’était pas toujours simple à réaliser. Très souvent, l’un d’eux se
faisait blesser ou se faisait tuer, ou quelque chose de cette nature, vous savez, alors pour nos communications, c’en était terminé, n’est-ce pas.
[TEMPS : 02:57]
E.B. : Et puis, bien sûr, vous ne pouviez pas vous éloigner plus que ça du quartier général et les radios n’étaient pas très fortes. Et elles ne pouvaient pas faire de grandes distances du tout. Alors on se retrouvait hors d’atteinte de l’état-major;
et l’état-major ne pouvait pas faire grand-chose pour nous de toute façon. Alors quand, tous les quatre, on s'est mis à creuser, c’était assez stupide, parce qu’on savait qu’on allait recevoir une riposte, on le savait, vous voyez – absolument, sûr à
cent pour cent, on allait avoir une contre-attaque. On n’a pas assez fait attention à nous-mêmes.
[TEMPS : 03:39]
E.B. : Donc lors de la première contre-attaque, deux des gars qui étaient avec nous ont été blessés; et à la seconde contre-attaque, l’autre gars qui était avec moi, il s’est fait tuer. Alors, après ça, j’étais complètement seul. Il n’y avait personne
autour de moi qui était, qui était en vie et capable de m’apporter un peu de soutien moral ou de l’aide, ou quoi que ce soit d’autre. La troisième contre-attaque, ça a été une de trop. Je me suis retrouvé prisonnier de guerre.
[TEMPS : 04:21]
E.B. : Ce dont je me souviens après qu’on ait été bien installés dans le camp de prisonniers de guerre, c’est qu'un des gardes est venu dans notre enceinte, et il fanfaronnait à propos du jour J qui venait juste de se produire. Je crois que c’était
peut-être bien le sept juin. Il nous racontait avec fierté que tous ces idiots qui avaient envahi la France allaient se retrouver dans l’océan d’un jour à l’autre. On s’est permis de ne pas être d’accord avec lui.
[TEMPS : 04:56]
E.B. : Une cinquantaine d’entre nous sont partis à Munich pour travailler sur le chemin de fer, et on réparait une voie ferrée qui avait été endommagée, un petit peu tordue par les bombes, vous savez, celles qui tombaient à proximité de la voie
et ce genre de choses. On n’a pas fait du très bon boulot là-dessus, volontairement, bien sûr. Un moment plus tard, le train est arrivé et il se présentait par là, il arrivait sur Munich, vous voye ; et je crois qu’il transportait du charbon ou quelque
chose du même genre. En tout cas, il est sorti des rails et il a eu un gros accident. Il y a eu un moment de jubilation parmi nous parce qu’on avait fait ça exprès, et tout ça. Mais on ne pouvait pas montrer qu’on jubilait parce que, bon sang de bonsoir,
les gardes allemands ne l’auraient sûrement pas très bien pris.
[TEMPS : 06:08]
E.B. : C’était dur de dissimuler notre joie, mais ça nous a procuré un profond sentiment de satisfaction après coup, vous savez. Oh, bon sang, on a fait quelque chose de terrible. Les soldats canadiens sont irrévérencieux à certains égards et pourtant,
à bien des égards, ils étaient tout sauf ça.
[TEMPS : 06:33]
E.B. : Nous étions donc ce genre de personnes qui, vous savez, parce que je l’ai fait moi-même, vont donner leur dernière gorgée d’eau un jour de grande sécheresse, et donner aussi leur dernière ration de nourriture, vous savez. Des gars qui, en
civils, donneraient ce qu'ils ont à un gamin qui arriverait vers eux en courant et en disant qu’il a faim. Je pense que c’est le genre de choses qu’on doit faire sans y penser. Ça me rappelle l’histoire d’un gars du nom d'Isvelt, c’était un Casque bleu.
Il s’est trouvé nez à nez avec plein d'enfants qui étaient sans abri, pour ainsi dire, leurs maisons étaient détruites, et, bien sûr, leurs jouets et tout le reste avaient été détruits en même temps. Il a écrit à sa mère, et sa mère a commencé à fabriquer
des petites poupées et à les lui envoyer. Puis elle a recruté ses amies, et lui, il a commencé à distribuer les poupées aux gamins qui n’avaient plus rien pour jouer, et ce genre de choses. Je pense que ce sont ces anecdotes témoignant d’une grande humanité
qui font la réputation des Canadiens.
[FIN : 07:59]