Transcription et traduction de la narration entière de
Beatrice Brigden
[DÉBUT : 00:00]
Beatrice Brigden : Faire partie de l’Assemblée législative du Manitoba me laisse une impression plutôt étrange. C’est ici qu’étaient adoptées les lois entraînant la discrimination contre les femmes. Les femmes ne pouvaient même pas voter. Il faudrait
remonter loin dans le temps pour savoir à quel point elles ont été méprisées jusqu’à aujourd’hui au fil des siècles. Par contre, c’est ainsi que l’on pensait à l’époque. Les femmes étaient censées obéir, les femmes étaient ménagères, les femmes étaient
absentes de la vie publique, les femmes n’étaient pas dans les affaires. Les femmes pouvaient exécuter certaines tâches de bureau, mais recevaient pour cela moins de la moitié du salaire d’un homme, même si elles faisaient la même chose. C’était tout
simple, les femmes n’étaient pas capables. Je ne crois pas qu’on ait dit qu’elles étaient d’une race inférieure, mais qu’elles étaient simplement incapables.
Description visuelle : La caméra fait un panoramique depuis le grand puits de lumière rond de l'Assemblée législative du Manitoba, le long des murs, pour finalement se fixer sur Beatrice Brigden, assise sur une chaise noire, portant des lunettes et une blouse bleue.
[TEMPS : 00:57]
B.B.: Un jour, elles sont allées voir sir Rodman Roblin, à l’époque premier ministre du Manitoba, pour lui demander d’émanciper les femmes de la province. Et bien sûr, il était vivement contre cette idée. Il jugeait cela ridicule et il leur a dit
à quel point elles agissaient de façon absurde et irréfléchie. Il a utilisé des mots peu flatteurs, selon les journaux de l’époque, et il ne fait aucun doute que c’était vrai, qu’il ne pouvait tout simplement pas imaginer que les femmes sortiraient pour
aller voter. Et pourquoi voteraient-elles donc? Les hommes, pendant encore un certain temps, ont continué de croire que leurs épouses devaient voter comme leurs maris le leur disaient. Il est probable qu’elles l’aient fait, je ne sais pas comment il
pouvait en être autrement ou, sinon, les choses auraient changé bien avant. Et il n'y avait aucune objection en particulier à cela!
Description visuelle : Différentes vues de la chambre législative sont présentées. Images d'archives de femmes effectuant divers types de travaux (dans la cuisine, couture dans une usine, récolte dans une ferme).
[TEMPS : 01:53]
B.B.: Il a fait tant de tapage sur cette question, y manifestant tant d’aversion que la question s’est retrouvée dans les journaux. Les journaux d’opposition étaient oh combien heureux d’avoir cette histoire à se mettre sous la plume. Nellie
McClung a décidé qu’elle organiserait une parodie de parlement au théâtre Walker. Nellie McClung était une conférencière qui avait sa façon bien à elle de s’exprimer, chose plutôt inhabituelle – une femme qui pouvait s’adresser à un public n’importe
où. Comme par hasard, ma mère et moi étions en visite à Winnipeg à cette époque, de sorte que j’ai pu assister à cette parodie de parlement. Selon mes souvenirs, Nellie McClung jouait le rôle de première ministre et les femmes assises sur le plateau
étaient des députées. Elles décideraient alors si elles allaient autoriser les hommes à voter ou non. Les hommes étaient-ils vraiment capables, allaient-ils se comporter comme des idiots et se ridiculiser? Ils se contenteraient probablement de voter
contre ce que les femmes souhaitaient et cela serait désastreux au plus haut point pour les affaires et pour toute autre chose, par ailleurs. C’était drôle et désopilant; je me souviens plus des rires du public que de ce qui a été dit. Elle a véritablement
fait une caricature de sir Rodman Roblin qu’il serait difficile de reproduire.
Description visuelle : Beatrice Brigden est à nouveau en train de parler. Des images d'archives montrent des femmes bien habillées marchant et Nellie McClung dans un châle de fourrure s'adressant à une grande foule depuis une scène extérieure.
[TEMPS : 03:29]
B.B.: L’effet a été tel que, par la suite, on a dit que ce n’était pas étranger à la défaite du gouvernement Roblin lors des élections provinciales de l’année suivante. Nous étions en 1914, et, en 1915, le gouvernement a été défait. Le nouveau
premier ministre était M. [Tobias] C. Norris, un ami de mon père; l’un des premiers projets de loi qu’il a fait adopter en 1916 était l’émancipation des femmes au Manitoba. La Saskatchewan, qui est devenue une province en 1905, a adopté sa propre loi
l’année suivante. Les Manitobaines et les Saskatchewanaises étaient les premières Canadiennes à être émancipées et les premières pour la plus grande partie du continent.
Description visuelle : Les femmes sont présentées lors d'une marche organisée. Divers costumes et enseignes sont visibles, mais illisibles. Les policiers marchent à côté. Des images d'archives de femmes militantes autour de Winnipeg sont montrées.
[TEMPS : 04:24]
B.B.: C’est quelque chose qui m’étonne, cette façon dont les anciens mythes nous collent à la peau. Lorsque je vais à la banque, maintenant, je me mets à penser : « Ah des filles à tous les comptoirs! » J’ai grandi avec l’idée que la banque,
c’était une affaire d’hommes uniquement et quelque chose me dit encore que c’est étrange. De plus, les hommes ne veulent plus de ces emplois, je suppose que les femmes sont moins bien rémunérées que les hommes ne le seraient à ces fonctions. Ce sont
quelques-uns des grands changements qui sont survenus. Quand j’y songe, une femme à la banque aurait été chose impensable au guichet, même il y a 20 ans, je crois. Nous avons connu une révolution de pensée en ce qui a trait aux capacités de femmes et
à leurs droits. C’est ce sur quoi œuvrent actuellement les organismes féminins, à savoir que nous avons le droit de faire tout ce qu’un homme peut faire, si nous le pouvons.
Description visuelle : Images d'archives de caissiers masculins d'une banque aidant des clients. Beatrice Brigden revient à l'écran.
[FIN : 05:31]