Transcription et traduction d’un extrait du journal d’Alfred Herbert John Andrews, datant de 1914 :
Nous avons assisté à un autre exercice à 9 h le dimanche, et nous avons reçu l’ordre de rentrer à 18 h pour le départ vers Valcartier. J’ai passé la journée (30 août) à rendre visite à mes amis pour leur dire au revoir. Nous avons eu des adieux plutôt
déchirants à la maison, mais maman et papa ont gardé leur contenance. Nous avons tous senti que je ne reviendrais pas de sitôt et j’ai donné beaucoup de mes effets personnels. Quand je suis rentré dans les rangs à 18 h, je portais mes plus vieux vêtements
et une montre-bracelet en or donnée par l’oncle Fletcher. J’avais un rasoir mécanique Gillette, donné par le bureau, ainsi que des chandails et des chaussettes de rechange. J’ai touché ma paie (150 $) et l’ai changée en or anglais et en or américain.
J’ai caché le tout dans ma ceinture.
À 18 h, nous avons formé les rangs sur le terrain de l’école Mulvey, sous les regards de centaines d’amis et de spectateurs curieux. Nous avions certainement l’air d’un groupe bigarré. La plupart des hommes portaient des vêtements civils de différents
styles rétro. Les officiers portaient de tout, des kilts aux casques blancs. Après beaucoup de retard, nous nous sommes mis en marche et avons descendu l’avenue Portage et la rue Main jusqu’à la gare Union. J’avais l’impression que tous mes amis étaient
là, tout près, et, comme j’étais parmi les quatre du premier rang, ils m’ont tous repéré. Nous avons marché dans la rue le torse bombé, adoptant ce que nous pensions être la démarche militaire. Avec le recul (neuf années plus tard), tout ce que nous
pouvons dire est : « Nous ne savions pas ce que nous faisions. » C’était à la fois glorieux et pitoyable. Une fois dans le train, notre prochaine tâche consistait à trouver les camarades de chambrée. Nous avons pris place dans de vieux wagons et avons
sorti les couvertures pour adoucir les angles. Theo Gunn et moi occupions le lit du bas et Art McConnaghy et un gars nommé Heatherington partageaient celui du haut.
Le déjeuner, servi à 5 heures, comprenait du jambon, des œufs, du gruau et du café. Nous n’avons pas aimé le gruau, qui avait brûlé.
Et dire que deux ans plus tard, nous aurions trouvé ce même gruau tellement bon! Nous avons tous gardé des raideurs de notre sommeil sur les lattes. À notre arrivée au Fort William, nous avons marché jusqu’à Port Arthur, où nous avons à nouveau embarqué
dans un train. La fatigue a commencé à se faire sentir quand j’ai été nommé au transport de la vaisselle. Le souper était en retard et les gars se sont mis à faire du vacarme.
Gunn et moi avons monté la garde le 1er septembre. Notre devoir était de tenir les hommes à distance. Nous avons fait un quart de 2 heures, de 5 h 30 à 7 h 30, au froid. Un bon déjeuner nous a fait oublier tout ça. À Cartier, nous sommes descendus et
avons traversé un terrain très accidenté. Cette courte randonnée a brisé la monotonie de la journée. Quand nous sommes arrivés à North Bay, nous avons reçu un bel accueil. Des filles nous ont donné des bonbons et des sandwichs. Bien des gars ont obtenu
les adresses de filles à qui ils ont promis d’écrire.
Le lendemain matin, deux incidents sont venus briser la monotonie. Une dispute entre McConnaghy et Heatherington s’est terminée par une bagarre, puis nous avons perdu la moitié de notre train à cause d’une rupture d’attelage.
À notre arrivée à Montréal à 16 h 30 le 2 septembre, nous avons emprunté une ruelle sous la pluie battante pour être guidés vers une autre gare où nous avons repris un train. Nous sommes arrivés au camp de Valcartier à 8 h 30 le 3 septembre.
La gare était à trois milles du camp et nous avons commencé à marcher avec nos sacs de paquetage sur les épaules. À notre arrivée, nous avons trouvé un village en toile d’environ 2 miles carrés. Au bout d’un certain temps, on nous a finalement attribué
des tentes dans lesquelles jusqu’à 14 hommes s’entassaient comme des sardines. C’était peut-être mieux ainsi parce que les nuits étaient très fraîches. Le réveil était sonné à 5 h 30 et nous devions alors procéder à une manœuvre d’infanterie. Comme on
s’attendait à ce que le duc de Connaught vienne inspecter le camp le 8 septembre, il fallait consacrer du temps aux corvées. Seuls ceux qui portaient l’uniforme étaient autorisés à assister à l’inspection. Les autres, dont j’étais, ne s’en inquiétaient
pas, car il avait plus très fort toute la journée. On m’avait ordonné de déplacer les latrines et les tentes. Il le fallait en raison de l’inondation par la pluie de notre ancien emplacement.
Les deux jours de pluie consécutifs avaient eu pour conséquence de tout tremper. Des vêtements ont peu à peu été distribués, d’abord les bottes et les guêtres, puis les manteaux. Nous avons eu bien du mal à apprendre à mettre nos guêtres comme il le fallait.
Le 9 septembre, j’ai vu le médecin et j’ai été vacciné. J’ai réussi l’examen de la vue en mémorisant la carte et en cachant au médecin le support que je portais. Je ne me sentais pas très bien après l’inoculation, mais ils nous ont emmenés directement
aux champs de tir. Le vent nous faisait grelotter. C’est à peu près à ce moment que des numéros nous ont été attribués. Le mien était le 14502.
On nous a ramenés aux champs de tir les deux jours suivants. Mon bras était douloureux et enflé, mais on nous a dit que la seule façon de se faire la main, c’était de continuer. Le mercure a monté et je pense que cela a beaucoup aidé à notre rétablissement,
à tous. Je tirais vraiment mal, mais comme nous nous notions mutuellement, nous avons tous réussi.
Faisant partie d’une unité de cavalerie, nous n’avions pas hâte aux manœuvres d’infanterie. Lorsque nous avons reçu l’ordre, le 12 septembre, de former les rangs en ayant en main des couvertures, nous étions sûrs que nous allions avoir nos chevaux. Au
lieu de cela, on nous a envoyés monter la garde pour 541 chevaux à la station de remonte.
Une personne a alors eu la brillante idée de faire un exercice d’incendie. On nous a donné pour instruction de prendre nos fusils et de rentrer aussitôt dans les rangs lorsque l’alarme se déclencherait. Nous avons eu trois alarmes dans la nuit du 13 septembre.
Les défilés ont donné lieu à quelques scènes très drôles. Deux de nos hommes prenaient une douche quand l’alarme a sonné. Ils sont rentrés dans les rangs avec leurs fusils en tenue d’Adam.
Il s’en est suivi une série d’exercices d’entraînement, de repos et de gardes jusqu’au 19 septembre, jour où j’ai encore été vacciné. Il faisait chaud et je n’ai pas senti grand-chose alors, mais j’ai fait une forte fièvre le lendemain. On m’a appelé
pour prendre part à un défilé, mais j’étais trop malade pour me lever. Le caporal m’a dit de me considérer comme en état d’arrestation à cause de mon refus de parader. Le lendemain, je suis allé au défilé malade et j’ai été « démis de mes fonctions »
pendant une journée, ce qui m’a fait rater une garde de chevaux.
Le soir du 23 septembre, il y avait beaucoup d’excitation dans l’air. Les rumeurs d’un déménagement circulaient depuis quelques jours. Une revue de fourbi a été effectuée et nos couvertures supplémentaires ont été prises. Nous pensions que c’était vraiment
le départ! Mais ça s’est avéré une fausse alerte.
Le 24 septembre était officiellement le jour convenu pour joindre les forces outre-mer, car nous avions signé nos feuilles d’engagement pour cette date. On nous a ordonné de nous tenir prêts pour une marche, mais il pleuvait et nous ne sommes pas sortis.
Nos fusils ont été demandés le lendemain, et on nous a servi des biscuits au lieu du pain. Cela annonçait sûrement un déplacement, mais nous étions encore là. Enfin, après bien des rumeurs et beaucoup d’incertitude, nous avons quitté le camp à midi,
le 27 septembre, en train. Tous étaient de bonne humeur. Nous sortirions enfin, tout au moins, de ce bourbier.