Transcription et traduction de commentaires tirés d'un entretien réalisé en 1983 avec Mark Wolfleg sur ses expériences vécues en temps de guerre.
Extraits d’un entretien réalisé en 1983 avec Mark Wolfleg père
Endroit : Réserve des Pieds-Noirs (Alberta)
Date de l’entretien : 24 janvier 1983
Langue de l'entretien : Pied-noir/anglais
Intervieweur : Tony Snowsill
Personne interrogée : Mark Wolfleg
Principal interprète : Mervyn Wolfleg
Tony : Mark, j’aimerais maintenant vous poser des questions sur votre expérience dans l’armée... Pourquoi avez-vous rallié les rangs de l’armée [lors de la Seconde Guerre mondiale]?
Mark : Beaucoup de gens ont été forcés de s’enrôler pendant ce conflit mondial. À cette époque, je travaillais dans les mines, dans la partie est de la réserve, et je m’étais rendu à Calgary pour faire des achats. Le lendemain, j’étais toujours
là et je marchais sur la 8e Avenue, en direction ouest, quand j’ai regardé de l’autre côté de la rue et aperçu une affiche de recrutement. Donc, par curiosité, je suis entré et il y avait là un sergent qui était vraiment content de me voir.
Il était très amical et il m’a demandé si je voulais m’enrôler. Alors, sur un coup de tête, j’ai répondu : « Ouais, je suis venu m’enrôler. » J’étais là juste par hasard. Ce n’était pas une décision réfléchie.
Tony : Comment le fait d’être dans l’armée vous a-t-il touché? Ce que je veux dire, c’est qu’avant la guerre, la vie ici sur la réserve vous avait habitué à certaines choses et vous meniez un certain mode de vie. Puis, en vous joignant à l’armée, vous êtes allé à l’étranger et toutes sortes de choses sont arrivées. Vous avez vécu toutes sortes d’expériences que j’aimerais que vous me racontiez, mais ce que je voudrais savoir pour l’instant, c’est dans quelle mesure ce que vous avez vécu dans l’armée vous a changé et a changé votre façon de voir la vie. Est-ce que cela a fait une différence dans votre vie?
Mark : Quand je me suis engagé, je ne savais pas vraiment de quoi il s’agissait, la guerre et tout cela, mais lentement j’ai commencé à changer. J’ai remarqué un changement dans ma façon de penser. La vie était très différente de ce que
j’avais vécu; chez moi, étant habitué au mode de vie des Indiens, ma façon de voir était très différente, puis elle a changé radicalement, en particulier lorsque je suis allé outre-mer. Mon regard sur la vie est devenu plus sévère, s’est endurci. Je
ressentais une colère qui n’était pas là avant, et à cause de toutes les expériences que j’ai vécues là-bas, quand je suis revenu, j’étais devenu une personne beaucoup plus en colère, une personne qui se fâchait beaucoup plus vite, alors qu’avant, je
n’avais jamais connu ce sentiment d’être en colère. À l’époque, j’avais un tempérament plus facile, mais au fil des ans, je me suis débarrassé de ce sentiment. Surtout lorsque j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus à la vie spirituelle. Je suis
devenu plus bienveillant envers les aînés et les jeunes, parce que ce sont eux, les personnes âgées et les enfants, que j’ai vu souffrir le plus pendant la guerre. Donc, je me suis rapproché d’eux, je suis devenu plus gentil à leur égard. Et j’imagine
que je pourrais dire que lorsque j’étais là-bas, j’ai côtoyé la mort et c’est ce qui a introduit la colère dans ma vie à mon retour. Depuis, je me suis écarté de cette voie et j’ai réintégré la dimension spirituelle dans ma mentalité d’Indien.
Tony : Quel genre de choses ont provoqué ces changements de mentalité et transformé cette vision que vous aviez du monde lorsque vous étiez dans l’armée? Quels éléments ont été à la source de votre colère et quelles sont certaines des expériences que vous avez vécues dans l’armée qui vous ont particulièrement marqué?
Mark : Quand je me rappelle mes expériences pendant la guerre, je me souviens de ceux d’entre nous qui s’en sont sortis et de ceux qui n’ont pas survécu. Voilà les souvenirs que je garde de la guerre. Je me rappelle également que j’ai
été aussi responsable du fait que certaines personnes n’ont pas survécu, mais dans le contexte, je ne pouvais rien y faire. C’est pour ça que j’étais là-bas. Connaître la guerre ne fait pas vivre des expériences exceptionnelles – tout ce qu’on vit,
on le vit seul. C’est ce que c’est la guerre – la solitude –, alors je ne vois pas vraiment ce qu’il y avait de si extraordinaire, et aucune des expériences que j’ai vécues ne m’apparaît comme exceptionnelle. Tout n’était que solitude, isolement.
Tony : Lorsque vous êtes revenu de la guerre, Mark, avez-vous noté bien des changements dans la réserve ou vous sentiez-vous différent à votre retour ici? Votre façon de voir les choses sur la réserve à votre retour avait-elle changé?
Mark : La seule chose que je ressentais quand je suis revenu, c’est que j’étais tellement content de revenir que je n’ai remarqué aucun changement. J’étais simplement content de me retrouver à nouveau parmi ma famille.
Tony : Comment avez-vous été traité par le gouvernement en tant que vétéran et est-ce que le fait que vous étiez un ancien combattant a changé votre perception du gouvernement?
Mark : Quand je suis revenu sur mon territoire comme vétéran, le surintendant des Indiens, l’agent des Indiens à l’époque – il s’appelait Gooderham –, s’était déjà occupé de tout pour nous. Il avait informé les responsables à Ottawa
que nous, les vétérans autochtones, n’avions besoin d’aucune aide, que tout était pris en charge. Donc, les indemnités que j’aurais dû recevoir du gouvernement, je ne les ai pas reçues, comme beaucoup d’autres anciens combattants. Quand ça s’est
passé, je me suis rappelé du temps que j’avais passé au front. À l’époque, personne n’a souligné le fait que nous étions des Indiens visés par un traité. Personne n’a dit : « Bon, comme vous êtes visés par un traité, vous pouvez marcher cinq milles
[huit kilomètres] derrière les lignes. » Nous étions là parmi tous les autres. Ce n’est qu'une fois revenus du front que nous avons entendu que nous aurions pu faire ressortir ce fait. Nous avons fait la guerre pour le Canada.
...
Tony : Des choses vous sont arrivées sur le plan spirituel et les événements qui, selon vous, valaient la peine d’être conservés dans votre mémoire, vous avez nommé vos petits-enfants en fonction d’eux et des personnes avec qui vous avez vécu certains de ces événements.
Mark : Eh bien, ces expériences, je les ai vécues en situation de combat en Italie. Parce que le nom… les choses qu’on fait… c’est comme l’une de mes petites-filles, MaryAnne. Je l’appelle [---], ce qui veut dire « Chante lentement
». C’est ce que j’entendais juste avant qu’on attaque, qu’on prenne d’assaut la ligne Hitler le 23 mai 1940. Alors je lui ai donné ce nom. Mais ce sont certaines des choses que les vieux guerriers font et qu’ils doivent vivre; les autres n’ont pas
à s’approprier l’expérience, en tirer ce que j’en tire. J’en ai vécu une autre à [---]. Nous nous dirigions vers un autre bâtiment, alors j’ai traversé en direction du bâtiment, mais juste avant que je franchisse la porte, ils l’ont ouverte devant
moi avec une mitrailleuse. Alors j’ai fait demi-tour et commencé comme à zigzaguer; je suis allé ailleurs, comme en zigzag, jusqu’au bâtiment suivant. Alors j’ai donné le nom de cette expérience à l’un de mes petits-enfants. Je l’appelle [---],
c’est-à-dire Traverse en courant. C’est parce que, dans ce genre de situations où on s’en sort de justesse, le fait de donner le nom de l’un de ses petits-enfants ou de quelqu’un d’autre veut dire qu’on doit prier pour que cette personne conserve
le nom, et on espère que l’expérience qu’on a vécue lui portera bonheur pour le restant de sa vie.
Tony : Vous avez mentionné le chant et cette expérience, mais pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, Mark?
Mark : Oui. J’étais dans une tranchée de tir, juste avant qu’on sorte pour cet assaut massif contre Hitler. Je dormais depuis quelques heures quand j’ai entendu quelqu’un chanter au loin, puis s’arrêter. Puis je l’ai entendu encore
plus près de moi; j’ai entendu ces chants, ceux de la Horn Society, du ballot à la pipe (pipe bundle) et du ballot au castor (beaver bundle), et je me suis dit : « Hé! J’ai déjà entendu ces chants avant. » Donc, c’était la deuxième
fois. Et puis la troisième fois, c’était comme si j’étais là-bas dans un tipi, assis à l’arrière, et juste à l’extérieur on chantait. Quand les voix ont recommencé à chanter la troisième fois, je pouvais entendre très clairement ce qu’elles disaient.
Ensuite, elles ont arrêté de chanter. Tout vient toujours par quatre; dans toute forme de vie, lorsque les esprits veulent quelque chose, ils s’y prennent toujours à quatre fois – on fait les choses comme ça. Alors les voix ont arrêté de chanter.
Elles allaient commencer à crier, alors je me suis réveillé, mais je pouvais entendre encore leurs chants. Je suppose que les esprits sont venus vers moi juste pour me guider, m’aider à traverser les épreuves que nous allions vivre ce jour-là.
Tony : Pouvez-vous expliquer plus en détail en quoi consistaient ces épreuves? Plus tôt vous parliez de certaines des personnes qui ont été tuées et de ce que vous avez fait pour éviter ces choses-là.
Mark : Eh bien, avant de partir à six heures pour déclencher l’assaut – nous étions dans la deuxième vague de l’attaque –, nous avions franchi à ce moment-là peut-être 50 à 100 verges. Et c’est là qu’ils ont ouvert le feu, que les
Allemands ont commencé à tirer sur nous à la mitrailleuse. Tout ce qu’on entendait, c’était le sifflement des balles qui nous frôlaient, et nous avons perdu quelques-uns de nos officiers avant d’arriver là où se déroulait l’assaut principal. Il
se trouve que certains d’entre nous ont été chanceux d’arriver là où nous étions censés aller, parce que je me souviens, nous sommes arrivés devant une petite crête, une petite colline – un peu comme un banc de sable, – et l’officier, le caporal,
nous a fait signe que nous pouvions avancer. Alors nous avons commencé à remonter la crête, et c’est alors que j’ai glissé – c’était comme du sable. Lorsque j’ai reculé, l’un des 88 obus tirés est tombé juste là où je me dirigeais. Alors nous
nous en sommes sortis. Ensuite, nous avons progressé vers les lignes, les principales lignes offensives.