La participation des Autochtones aux guerres mondiales est un volet de l’histoire du Canada souvent méconnu. À bien des égards, cela est dû au fait qu’il n’y avait pas d’unités composées exclusivement de membres des Premières Nations, si bien que leurs
contributions se sont fondues dans le récit collectif des non-Autochtones. Quoi qu’il en soit, cette omission constitue un manque de respect envers ces hommes et ces femmes qui ont servi, d'autant plus qu’ils l’ont fait à une époque où ils n’étaient pas considérés comme des citoyens canadiens (statut qui leur a été accordé en 1960 seulement) et que s’enrôler durant la Première Guerre mondiale signifiait dans bien des cas la perte de droits issus de traités et relatifs au statut
d’Indien. Qui plus est, à leur retour au pays, les vétérans tombaient sous la coupe d’un agent des Indiens et, après la Première Guerre mondiale, ils n’ont reçu aucune indemnité; après la Seconde Guerre mondiale, les indemnités touchées, le cas échéant,
étaient inférieures à celles des anciens combattants non autochtones. De fait, dans l’après-guerre, de nombreuses collectivités des Premières Nations ont perdu des ressources au profit des vétérans non autochtones, à qui le gouvernement avait promis
des terres. En 1919, la Commission d’établissement des soldats [traduction] « a acquis plus de 85 000 acres de terres de réserve dans l’Ouest canadien afin que des soldats non autochtones puissent s’y établir ». Tout cela pendant que les Autochtones
devaient continuer de se battre pour leur autonomie et le droit de s’autogouverner.
Malgré ces injustices, plus de 3 500 Indiens inscrits ont servi au cours de la Première Guerre mondiale, soit le tiers de ceux ayant l’âge requis; durant la Seconde Guerre mondiale, ce fut plus de 3 000 hommes et au moins 72 femmes. Ces chiffres ne comprennent pas les Indiens non inscrits, les Inuits ou les Métis, de sorte qu’on ne connaît pas le nombre réel de personnes qui ont servi. Les guerres ont offert à quelques Autochtones une expérience unique. En se joignant à l’armée, ils ont acquis de nouvelles libertés qui étaient hors de leur portée en raison des dures réalités de la vie sous le régime de la Loi sur les Indiens de 1876 et, par conséquent, de la surveillance des agents des Indiens. Leur intégration dans les unités générales canadiennes a été un facteur propice à l’égalité, ce qu’ils n’avaient pas connu chez eux. Comme l’a fait remarquer l'ancien combattant Howard Sinclair Anderson dans le cadre du Projet Mémoire : « L’armée a été bonne pour nous, vrai de vrai. Il n’y avait pas vraiment de discrimination, nous en faisions partie en soldats et c’est à ce titre qu’on nous traitait. Au moins, ils ne se limitaient pas au fait que nous étions des Indiens, comme s'il n'y avait que cela, vous savez; ils nous regardaient aller et si nous étions bons dans quelque chose, ils nous y mettaient. » Anderson s'était enrôlé après que George Gordon, chef de Première Nation et vétéran de la Première Guerre mondiale lui-même, ait encouragé les jeunes hommes à se porter volontaires. Un autre ancien combattant s'est confié en ces mots : « Lorsque j’ai servi à l’étranger, j’étais un Canadien. Quand je suis revenu au pays, j’étais un Indien. » Ce genre de traitement au cours des guerres et au retour au pays est, de façon générale, assez singulier. Un nombre appréciable de gens des Premières Nations l’ont pourtant subi.
En raison du grand nombre de personnes qui ont servi et des liens relationnels étroits dans les collectivités des Premières Nations, les histoires des attaches personnelles, familiales et communautaires de ceux qui ont servi au cours des Première et Seconde
Guerres mondiales sont nombreuses. Dans certains cas, comme celui du chef Joe Dreaver de la bande crie de Mistawasis, cela signifiait avoir servi dans les deux guerres, être rejoint au cours de la Seconde Guerre mondiale par son fils et plusieurs de ses
filles. Pour d’autres, comme la famille Anderson de la Première Nation George Gordon, cela signifiait des pères et des fils militaires, par exemple David Anderson au cours de la Première Guerre mondiale et Howard Anderson au cours de la Seconde. Pour
nombre d’autres collectivités, on trouvait des exemples vraiment considérables de service. Dans la réserve Six Nations Grand River, nombre de personnes ont servi dans les deux guerres, notamment le brigadier Oliver Milton Martin, qui a atteint le plus
haut grade obtenu par un Autochtone, combattant dans la Première Guerre mondiale et formant les recrues dans la Seconde. Dans le cas de la Première Nation Siksika, il s’agissait davantage d’une histoire communautaire. Mike Foxhead était de toute évidence
le seul ayant combattu dans la Première Guerre mondiale, même s’il n’était pas le seul à s’être enrôlé, mais nombre d’autres, notamment Mark Wolfleg père et Gordon Yellowfly ont servi dans la Seconde Guerre mondiale. Les familles Foxhead et Wolfleg
sont liées par le mariage et les récits de courage et de bravoure au combat, de pratiques spirituelles et de soutien communautaire sont indissociables de leurs histoires.